Quand on pense à la piraterie des Caraïbes, on imagine volontiers des figures anglo-saxonnes, des pavillons noirs et des sabres au clair. Mais saviez-vous qu’un Portugais se cache derrière l’un des piliers les plus fondamentaux de la culture pirate ?
Son nom : Bartolomeu Português. Moins célèbre que Barbe Noire ou Henry Morgan, il n’en demeure pas moins un personnage fascinant, mêlant aventures rocambolesques et un sens inattendu de la justice collective.
Dans les eaux chaudes du golfe du Mexique, il a affronté les Espagnols, échappé à la noyade, survécu à la jungle, et, surtout, laissé un héritage décisif : le tout premier code des pirates, base de l’organisation des célèbres Frères de la Côte.
Voici l’histoire méconnue d’un pirate portugais aussi malchanceux qu’audacieux, et dont les exploits méritent enfin d’être racontés.
Pour les curieux, voici aussi 5 faits étonnants sur Bartolomeu Português à découvrir dans notre article complémentaire.
Qui était Bartolomeu Português ?
Au milieu du XVIIe siècle, les Caraïbes sont un terrain de chasse ouvert pour corsaires, flibustiers et boucaniers. Les grandes puissances coloniales – Espagne, France, Angleterre, Portugal – y rivalisent d’influence, souvent par l’intermédiaire de marins armés à qui l’on accorde des lettres de marque. C’est dans ce contexte troublé qu’apparaît Bartolomeu Português, un homme à la fois pieux et déterminé, portant toujours un crucifix autour du cou.
Arrivé dans les années 1660 dans les Antilles, probablement via la Jamaïque, Bartolomeu obtient une lettre de marque qui l’autorise à attaquer les navires ennemis. Son terrain d’action préféré : les routes commerciales espagnoles autour de Cuba et du Yucatán. Il commence à se faire un nom, non seulement pour ses attaques audacieuses, mais aussi pour sa ténacité. Loin de l’image du pirate sanguinaire, il cherche l’ordre et la discipline à bord. Une vision nouvelle, qu’il traduira bientôt dans un code qui deviendra légendaire.
Une légende née dans le sang et le cacao
L’exploit le plus célèbre de Bartolomeu a lieu vers 1663, lorsqu’il attaque un navire espagnol au large de Cuba. La prise est considérable : 70 000 pièces de huit, 120 000 livres de cacao et une cargaison de munitions. De quoi assurer richesse et notoriété au boucanier portugais. Mais la fortune a ses caprices : des vents contraires l’empêchent de retourner à Port Royal, et le navire est intercepté par trois galions espagnols. Bartolomeu est capturé.
Emprisonné sur un navire espagnol, il parvient à s’évader grâce à une idée aussi simple que géniale : il attache des bonbonnes de vin vides pour flotter et se laisse dériver jusqu’à la côte. De là, il marche près de 200 kilomètres à travers la jungle impénétrable du Yucatán, survivant à la chaleur, aux insectes et à la soif, jusqu’à atteindre El Golfo Triste, sur la côte caraïbe mexicaine.
De retour à Port Royal, il rassemble un petit équipage et retourne dans le golfe du Mexique pour retrouver le navire sur lequel il avait été emprisonné. Ne le trouvant pas, il s’empare d’un autre navire espagnol, cette fois chargé à nouveau de cacao et d’or. Mais la malchance le rattrape une fois encore : lors de la traversée, son navire s’échoue sur les récifs de l’île de la Jeunesse, au sud de Cuba. Il survit, bien que grièvement blessé, et parvient à rentrer à Port Royal, où il se soigne.
Le premier code des pirates : une révolution à bord
Plus qu’un aventurier, Bartolomeu Português était un homme d’idées. En marge de ses exploits, il aurait établi ce qui allait devenir le premier code de la piraterie, une charte tacite qui inspirera les célèbres Frères de la Côte et de futurs pirates comme Bartholomew Roberts ou Henry Morgan.
Ce code, transmis oralement, comportait des règles surprenantes pour l’époque :
- Un homme, une voix : chaque pirate avait droit à la parole, quel que soit son rang.
- Égalité entre les membres, sans distinction de race, nationalité ou religion.
- Pas de propriété privée à bord : tout bien était partagé.
- Liberté individuelle garantie… sauf pour les traîtres.
- Exclusion des femmes blanches (critère typique des mentalités du XVIIe siècle).
- Compensation financière pour les blessés ou mutilés en combat.
Ce règlement, à la fois pragmatique et progressiste pour son temps, assurait la cohésion à bord, limitait les conflits et renforçait l’esprit de fraternité entre marins hors-la-loi. Il posait les bases d’une démocratie pirate avant l’heure, dans un monde où les inégalités sociales étaient la norme.
Pour en savoir plus sur ce pirate hors norme, consultez ces 5 anecdotes fascinantes sur Bartolomeu Português.
La fin d’un pirate… et le début d’un mythe
Malgré ses efforts, Bartolomeu ne parvint jamais à retrouver la fortune qu’il avait brièvement goûtée. Les dernières années de sa vie sont floues. Certains récits affirment qu’il serait mort pauvre en 1669, dans l’anonymat. D’autres pensent qu’il aurait péri lors du tremblement de terre de 1692 qui détruisit en partie Port Royal, haut-lieu de la piraterie jamaïcaine.
Quoi qu’il en soit, il laisse derrière lui une trace indélébile dans l’histoire maritime. Son code servira de modèle à une génération entière de pirates. Et si son nom reste aujourd’hui méconnu du grand public, les règles qu’il a instaurées ont traversé les siècles, inspirant la littérature, le cinéma et l’imaginaire collectif.
Héritage culturel et symbolique
Bartolomeu Português ne figure pas dans les manuels scolaires. Pourtant, son influence se ressent encore dans notre façon de représenter les pirates : indépendants, organisés, presque idéalistes. À sa manière, il incarne une forme de résistance aux empires coloniaux et à l’ordre établi, dans une époque de violences et d’injustices.
Il est également une figure unique dans l’histoire portugaise : un pirate lusitanien dans un monde largement dominé par des Anglo-Saxons ou des Français. À l’instar de Zumbi dos Palmares ou Fernão Mendes Pinto, il appartient à ces figures marginales qui enrichissent l’histoire du Portugal par leur audace et leur singularité.
À lire également : Bartolomeu Português en 5 faits étonnants, pour découvrir son histoire sous un angle plus léger.
Nos sources
ATLAS Lisboa, Bartolomeu Português: Father of the Pirates’ Code, [en ligne], https://www.atlaslisboa.com/bartolomeu-portugues/, consulté en avril 2025.
LAMRANI Salah, Les surprenantes aventures de Bartolomeo Portugues, pirate intrépide et malchanceux, Mediapart, 29 novembre 2019. [en ligne] : https://blogs.mediapart.fr/salah-lamrani/blog/291119/les-surprenantes-aventures-de-bartolomeo-portugues-pirate-intrepide-et-malchanceux.
LA BRÚJULA VERDE, Bartolomeu Português, the Lusitanian Buccaneer Who Created the Code of Piracy, 20 juin 2020. [en ligne] : https://www.labrujulaverde.com/en/2020/06/bartolomeu-portugues-the-lusitanian-buccaneer-who-created-the-code-of-piracy/.
EXQUEMELIN Alexandre-Olivier, The History of the Buccaneers of America, Londres, 1678. Édition numérique : Google Books.
LÓPEZ GARCÍA Sergio, Black Sails: La Edad de Oro de la piratería en el Caribe, mémoire de licence, Facultat de Geografia i Història, Universitat de València, 2017.
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